Philong Sovan appartient à la deuxième génération des photographes cambodgiens contemporains, ceux nés dans les années quatre-vingt après la fin du régime de Pol Pot, ceux qui n’ont pas connus directement l’horreur du génocide mais en ont été victimes malgré tout : enlevé par des soldats du défunt régime khmer rouge devenus bandits de grand chemin, son père a disparu quand il avait trois ou quatre ans. Et il n’est pas indifférent qu’il ait été formé, en tout cas aidé et accompagné, par Mak Remissa, un des rares survivants devenu photographe, remarquable photojournaliste qui, à côté de son traitement de l’actualité pour l’agence allemande DPA, crée tous les ans, ou tous les deux ans, un travail personnel exemplaire, exigeant, sous forme de petits contes édifiants, récits imagés autour des questions d’environnement ou de la mémoire.
Venu du photojournalisme, formé à la dure école de la presse quotidienne, Philong Sovan a su très tôt que ce n’était pas à cela qu’il se destinait : la photographie pouvait servir à bien autre chose que la chronique, elle pouvait être un véritable outil pour la création. Dès son premier long « sujet », consacré à l’exploration d’une ancienne chapelle transformée en immeuble d’habitation par les orphelins auxquels elle fut attribuée après le génocide, il dépasse vite les portraits et la recherche d’angles de prise de vue originaux pour cadrer des détails de la « décoration », des natures mortes ou des compositions trouvées sur les murs qui deviennent des représentations métaphoriques des personnages habitant les lieux. Et, déjà, l’attention à la lumière est constate, qui lui permet de structurer au moyen d’une palette subtile, variée, des compositions très en place.
Portraits, espaces, situations, le photographe est en permanente recherche avec quelques convictions bien ancrées : le refus du décoratif gratuit, la nécessité de faire sens, de prendre position, l’acceptation et la nécessité du documentaire, l’acceptation, aussi des limites d’une photographie qui ne saurait délivrer aucune vérité. Tendu entre document et fiction, tout son travail conserve une dimension de mystère, échappe par moments aux mots, à l’explicitation et accroche l’œil par l’exigence de la couleur et la finesse des compositions.
Toutes les séries, qui peuvent sembler fort différentes dans leur propos, sont sous-tendues par une passion pour la lumière. Une passion qui a fait choisir la photographie à Philong Sovan et qui anime toute sa démarche. Elle culmine dans la série, toujours en cours, de « In the City by Night » pour laquelle il éclaire la nuit sombre des villes cambodgiennes pour révéler des scènes et des personnages que nous ne discernons pas, ou très difficilement, dans le noir. Cette série, plus que d’autres sans doute, dit la complexité d’une démarche et d’un dispositif qui produisent des images remarquablement efficaces et toujours troublantes. Entre document et fiction, entre constat et mise en scène c’est la lumière rapportée qui révèle et module personnages et situations. Avec, toujours, une extrême attention, empathique, aux petites gens, aux ordinaires, à ceux que l’on ne voit jamais, et que la photographie et la lumière révèlent avec sérénité, sans spectaculaire aucun, pour les rendre présents, durablement, dans des cadres rigoureux.
Christian Caujolle